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Photo du rédacteurAnaïs Vanel

Vivre

Dernière mise à jour : 25 janv.

Le soleil nous enveloppe de ses rayons et on se surprend à ressentir la fraîcheur du printemps, au beau milieu de l’hiver. C’est comme si par cet élan, l’année démarrait vraiment. On dirait que toute la nature nous pousse à aller de l’avant, en nous rappelant les chants du réveil de la terre, comme un encouragement.


J’ai pris mon temps pour remonter du village après mon cours de basque, comme une enfant sortant de l’école précipitamment et faisant traîner le trajet de retour un jour de beau temps, pour aller contempler les reflets de lumière dansant sur la rivière, écouter les anciens attablés en terrasse, savourer chaque détail des maisons, chaque inscription sur les pierres et dire bonjour à tous les chiens, poules et vaches du quartier.


J’ai réalisé il y a peu qu’il m’était bien plus facile de sympathiser avec les animaux qu’avec les humains. Non pas que j’aie une préférence pour les uns ou pour les autres, simplement les rencontres humaines m’ont toujours paru compliquées. Il faut se présenter, énoncer sa profession, son statut, son passé, et voilà bien souvent à quoi se résume « dire qui l’on est ». Dans mon cours de basque, je m’aperçois que je ne connais en réalité personne. Je sais les professions, les statuts, parfois un peu les passés, mais que sait-on vraiment de quelqu’un avant de découvrir ce qui fait battre son cœur d’enfant ?


Là, en fouillant pour découvrir des cailloux qui brillent au fond du ruisseau d’une main, mon livre de basque dans l’autre, j’ai commencé à faire la liste des choses qui font battre mon cœur d’enfant.


La première chose à mettre sur cette liste est que j’aime par-dessus tout faire des listes. De tout, de rien, de noms d’oiseaux rigolos, d’endroits qui me parlent au point que je me demande si je n’y ai jamais habité en rêve ou dans une autre vie, des livres que j’aimerais écrire, de mots que je trouve jolis.


J’aime les objets d’un autre temps, d’un autre lieu, les objets rares et précieux, qui sont comme la pièce d’un tout qui compose le sentiment de maison. J’aime les objets qui se souviennent du temps où la télévision n’existait pas, celui où l’oisiveté amenait immanquablement à la curiosité et la créativité. J’aime les objets qui sont comme des pièces que l’on insère dans le jukebox de la mémoire et qui lancent un récit au hasard. J'aime me rappeler toutes les vies que j'ai eues dans celle-ci.


J’aime la lunaire ou herbe aux écus, ou encore monnaie du pape. J’aime qu’elle fleurisse une fois par an, au milieu du printemps et qu’elle laisse apparaître ses médaillons nacrés à la fin de l’été, j’aime qu’elle se ressème toute seule en s’évadant des jardins pour découvrir le bord des chemins, j’aime qu’elle supporte tout, la chaleur, le froid, le soleil et l’obscurité.


J’aime les fleurs dont le drapé des pétales rappelle celui d’une robe de mariée : la pivoine, l’azalée, j’aime la promesse des champs de blé en été, j’aime les mots, les écrire, les prononcer, les découvrir, les réinventer.


J’aime la broderie, les potagers, la porcelaine, les paniers tressés, allumer une bougie, j’aime le silence, les jolis carnets, tout ce qui est doré, j’aime les sculptures de branches et de feuilles, j’aime la céramique, j’aime parler aux insectes et aux animaux, j’aime le pas du cheval au trot, j’aime la trace que laisse une démarche sur le talon d’une chaussure, j’aime lire un livre de cuisine sans avoir l’intention de cuisiner, j’aime écrire avec la plume que Margaux m’a offerte, j’aime les encriers, j’aime vivre au rythme des saisons, j’aime boire un verre d’eau quand j’ai très soif, j’aime observer les fractales d’un chou romanesco, j’aime les lieux sacrés, j’aime l’idée que l’Atlantide a existé et que je l’ai habitée, j’aime la photographie, j’aime les gens discrets, j’aime les nuits sombres et les matinées d’hiver ensoleillées.


J’aime le village – puis-je l’appeler mon village ? – j’aime la forêt qui mène au sentier des sommets, la couleur de la terre et des montagnes, j’aime la sonorité de la langue basque, ses mots et son histoire, j’aime la découvrir chaque jour un peu plus, j’aime le quartier et la maison dans laquelle je vis, j’aime le jardin, j’aime enfiler mes bottes pour aller jeter les épluchures au compost, j’aime les goûters improvisés avec Dara, j’aime être entourée d’une toute petite communauté de femmes qui s’entraident et veillent les unes sur les autres.


J’aime me rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, un homme m’a laissée presque sans vie, sans argent, sans dignité et que ma famille l’a aidé, mais qu’ils ne m’ont pas tout pris, car j’aime encore les rivières, marcher pieds nus sur l'herbe, la réflexion de la lumière dans les attrape-soleil, la douceur des hortensias séchés, j’aime quand les gens répondent à un sourire, harmoniser la couleur de mes vêtements à ceux des jours de la semaine et aux planètes qui y sont associées, j’aime le romantisme et les robes empire, relire et relire Orgueil et préjugés, j’aime les jeux de société, j’aime me déguiser, j’aime écouter du gospel le dimanche matin, j’aime mes blessures une fois qu’elles ont cicatrisé, j’aime l’absurdité et la douceur de cette drôle de vie.


J’ai continué la liste dans ma tête, en sautillant jusqu’à la maison, et j’ai réalisé que pour la première fois de ma vie je me sentais comblée, au contact de tout ce que j'aimais, avec aucun autre désir que celui d’être là, dans ma vie, à ce moment précis. Vivre.


On devrait se présenter aux autres et peut-être parfois, à soi-même, en énumérant les choses que l’on aime. On devrait plus fréquemment faire des listes de ce qui nous fait nous sentir vivant. Pour retrouver la légèreté et l’élan de rentrer chez soi en sautillant.


Oscar Wilde écrit « Vivre est la chose la plus rare du monde. La plupart des gens ne font qu’exister. ». Vivre est bien la chose la plus rare du monde, car il est extrêmement difficile d'en découvrir la simplicité. Et je crois que ceux qui vivent ont pour devoir d’aider ceux qui ne font qu’exister à vivre.


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