Ce matin, un léger rideau blanc apparaît sous le soleil. Le givre a recouvert les herbes du jardin, le tapis de feuilles, les aspérités du sol, les cailloux au bord de la rivière, comme un voile délicat, scintillant discrètement. Le solstice d’hiver nous a plongés dans la nuit la plus longue de l’année et nous en ressortons stupéfaits. Il n’y a rien à part le soleil de fin d’année qui réchauffe les branches dénudées des arbres comme celles de notre âme.
La saison du Capricorne peut commencer, et dans cette austère sévérité apparaît alors le feu sacré d’Hestia, la lumière intérieure qui nous guide dans les périodes sombres et qui nous appelle à entreprendre le long voyage dans le temps du rêve et auprès des ancêtres, à nous régénérer.
Je suis née au lendemain de la grande nuit sombre, juste après l’ouverture du cycle de la renaissance dans la contemplation. Cette année, je me questionne sur cette tradition de célébration que l’on appelle un anniversaire. Son histoire est longue et contradictoire, l’Église l’a un temps bannie en opposition à l’astrologie, les Grecs déposaient des gâteaux de miel ronds ornés de bougie dans les temples, pour honorer les dieux qui veillent sur nous. En Inde, la date de naissance indique une certaine position des planètes qui définirait notre mission de vie dans cette réincarnation. Mais avant les calendriers, avant la connaissance du mouvement des astres, que célébrait-on ? Les exploits, les hauts faits, les rites de passage, accompagnés d’une foi universelle dans les périodes sombres qui conduit l’homme à se transformer, à s’élever.
Cette année, j’ai envie de m’offrir du silence. De me questionner sur ma présence à moi-même, aux autres, au monde. De dialoguer avec les astres, les dieux, d’allumer une bougie pour moi-même.
J’ai envie de passer un moment avec cette petite fille qui me regarde avec étonnement. Il est temps pour moi de fermer ce chapitre, de la prendre par la main et d’avancer. Car je crois aujourd’hui que l’on ne recommence jamais à zéro, mais que l’on va de changements en changements et ce de façon assez naturelle. Quelles que soient nos croyances, nous sommes des êtres fluctuants, soumis à des cycles, et chaque saison de notre vie appelle forcément différentes parties de nous-mêmes. Ces changements originellement naturels et sains sont malheureusement perçus comme effrayants aujourd’hui dans un monde qui aime prévoir et programmer. On pense alors à tort devoir recommencer à zéro quand en réalité, on ne fait qu’entamer un nouveau cycle de vie. Et cela devient soudainement un idéal à atteindre, alors qu’il faudrait normaliser le fait de changer, de lieu de vie, de métier, d’élans, d’envies.
Avant de tout quitter, j’étais moi-même à la poursuite de cet idéal. Mais je me suis bien vite rendu compte que les grands changements nous bousculent de façon inattendue. Ce sont des moments inconfortables qui dévoilent des vérités essentielles à notre évolution. Aujourd’hui, je vois cela comme le fait de se délester de choses qui ne nous nourrissent plus, pour faire de la place à d’autres. C’est tout simplement accepter d’aller vers l’inconnu en se dépouillant.
On dit que ce sont les pandémies, les guerres, les crises qui enclenchent ces désirs de changement. Mais si on regarde objectivement en arrière, nous avons toujours vécu avec ce climat d’incertitude autour de nous : il y a toujours eu des guerres, des crises, des épidémies. C’est notre façon de traiter l’information qui a changé. Ce n’est pas tant la société qui est anxiogène que notre façon de nous positionner face à elle. Cette course à l’immédiateté, cette surenchère d’informations nous poussent forcément, naturellement à vouloir rétablir un certain équilibre et à prendre du recul. Et dans cette volonté de recul, les envies profondes apparaissent et avec elles, la recherche de l’équilibre.
Certains parlent d’un nouveau souffle, et il me semble que cela correspond bien à cette idée de cycle. C’est intéressant de regarder du côté des choses les plus simples et les plus primaires : nous sommes parfois dans des cycles d’inspiration et parfois dans des cycles d’expiration. D’autres évoquent une page blanche, mais je me méfie de cette image désormais, car tout comme il est plaisant de se trouver devant un terrain neutre à conquérir, il faut néanmoins bien garder en tête que c’est la page qui est blanche, pas nous. Quel que soit le changement, aussi grand soit-il, il n’efface pas le passé, les douleurs, certains traumatismes. Au contraire, sur cette page blanche, ils n’en seront que plus visibles.
Nous avons tendance à nous focaliser beaucoup trop sur un objectif fantasmé plutôt que d’apprécier le chemin et ce qu’il a à nous montrer. Il n’y a rien de définitif dans un choix de changer de vie comme il n’y a pas de changement de vie réussi ou raté, il y a simplement la vie avec son cheminement, ses leçons, ses transformations. Il y a la vie qui continue, avec ses cycles. Cette vie que nous pourrions nous préoccuper de vivre, plutôt que de la réussir.
Dans le silence, le bruit de mes bracelets qui s’entrechoque est élégant et discret. C’est peut-être cela que je souhaite m’offrir, pour célébrer mon entrée dans la dernière année du cycle de mes trente ans. Un moment élégant et discret.
Devant le miroir, j’ai remarqué quelques cheveux blancs sur mes cheveux si noirs. Voilà peut-être un signe élégant et discret, que le temps se dépose enfin sur moi.
Traverser le temps, traverser la vie et s’éclairer des lumières qui surgissent…autant soient elles éphémères, où pour nous guider sur notre propre chemin ✨
Merci pour ce moment délicieux de te lire 🤍
Finir l'année 2023 en découvrant ce texte élégant et qui m'a traversée, des vérités si parlantes, je dis MERCIII pour cette rencontre et la découverte de vos ouvrages et textes. Très belle entrée en 2024!