Je suis rentrée en bénissant cette vie poétique, la seule possible à mes yeux : celle de la lenteur et de la simplicité, celle de la douceur et de la proximité, celle du refus de la modernité. Combien de fois l’ai-je attendue ? Combien de fois l’ai-je réclamée ?
En arrivant, sur les petites routes qui mènent à la maison, on croise un vieil utilitaire blanc, comme on en voit seulement dans les villages où rien n’altère le temps. Un vieux pépé avec un béret rayé essaie de faire sortir son chien qui s’agite. La porte finit par s’ouvrir, le chien descend en trombe et part en courant. Le vieux pépé dans son utilitaire blanc le suit dans un démarrage tonitruant. Puis ils disparaissent derrière le virage, sur le chemin qui mène dans la montagne.
Tout est en fleurs. Sur les collines vertes se détachent des tâches impressionnistes qui les font vibrer. En face, la vieille ferme protégée par les crêtes depuis lesquelles veillent les arbres sentinelles est enfin ensoleillée.
Ces visions me laissent dans cet état si simple qu’on oublie qu’il est si rare : la joie. Celle de rentrer chez soi. De poser sur les choses un regard naïf, émerveillé.
Rentrer chez soi. C’est une phrase qui panse les plaies, une phrase comme le baiser d’une mère sur une écorchure au genou. Dans cette phrase, on n’entend pas le cheminement. On est transporté par la promesse du soulagement. Celui de se recomposer à l’intérieur d'un foyer.
Rentrer chez soi. En prononçant cette phrase, on y est déjà. Là où les murs vous accueillent, vous enlacent de leurs bras. Là où les fenêtres vous offrent leur plus somptueux soleil. Là où le toit vous protège pour vous offrir le réconfort d’une chaleur maternelle.
Rester chez soi. Écouter le chant du silence des pierres. Nourrir son être dans cet intérieur sanctuaire. Accéder aux racines de soi. Dans les heures immobiles et silencieuses, observer les objets se réveiller. Le panier abandonné dans un recoin de la cuisine. La bougie ancienne recouverte de poussière. Rester chez soi. Laisser tout ce qui a bougé reprendre sa place. Recueillir les bienfaits d’une atmosphère apaisante qui invite au ralentissement.
Lire. Ouvrir un livre au hasard. Accueillir des mots qui vont guider la journée. Lire. Et comme l’affirme Descartes, converser « avec les plus honnêtes gens qui en ont été les auteurs ». Plonger dans un agrégat de détails, de fragments éclatés. Ne pas tenter de les reconstituer. Laisser l’esprit vagabonder. Et s’enrichir.
Cuisiner. Sublimer les choses de la terre. En retrouver le goût. Cuisiner comme on prie. Avec attention, intention et présence. Avec simplicité, retenue, sensibilité. Asperges, carottes, fenouil, ail, huile d’olive parfumée. Une pincée de sel. Des bruits de vaisselle, d’eau et de chiffon. Et ne reste que l’odeur de l’ail dans la maison.
Rentrer chez soi et observer le jardin qui a poussé, les fleurs nous livrer des trésors de couleurs. Rester chez soi pour comprendre les enseignements du dehors.
Je me dis qu’en rentrant chez soi, c’est comme si c'était sa propre nature que l’on rencontrait.
Comme si l’on se voyait tel que l’on est pour la première fois.
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